Par Armand T., Éditorialiste Économique
16 avril 2025
Introduction : Un conflit aux ramifications mondiales
La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, relancée en 2024-2025 par une escalade tarifaire sans précédent, incarne un tournant stratégique dans les relations économiques mondiales. Alors que les droits de douane américains sur les produits chinois atteignent désormais 125 % à 145 % – et ceux de la Chine 125 % sur les biens américains –, cette confrontation dépasse le simple déséquilibre commercial pour toucher à la suprématie technologique, à la sécurité nationale et à la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales. Cet article analyse les racines, les mécanismes et les conséquences de ce conflit, en s’appuyant sur des données actualisées et des perspectives d’experts.
1. Contexte historique : De Trump à Biden, une escalade continue
Les origines (2018-2020)
Sous l’administration Trump, les États-Unis ont initié des mesures protectionnistes dès 2018, imposant des tarifs douaniers sur 50 milliards de dollars de produits chinois, notamment dans les secteurs technologiques et industriels visés par le plan Made in China 2025. La Chine a répliqué par des taxes ciblant l’agriculture américaine (soja, porc) et les produits manufacturés, créant un cycle de représailles.
L’accord de 2020 et son échec
L’accord commercial signé en janvier 2020 n’a pas résolu les tensions structurelles. Les subventions chinoises aux entreprises d’État, les transferts technologiques forcés et le déficit commercial persistant (295 milliards de dollars en 2024) ont maintenu les frictions. Sous Biden, les restrictions se sont étendues aux technologies critiques (semi-conducteurs, véhicules électriques), avec des tarifs portés à 100 % sur les véhicules électriques chinois en 2024.
L’explosion de 2025
En avril 2025, l’administration Trump (réélue en 2024) a durci les mesures, taxant 104 % des importations chinoises et menaçant des alliés comme le Mexique ou le Vietnam de sanctions s’ils commercent avec Pékin. La Chine a riposté par une dévaluation du yuan et des barrières sur les métaux critiques (germanium, gallium).
2. Mécanismes économiques : Qui paie le prix ?
Le déficit commercial et ses illusions
Les États-Unis justifient leur offensive par un déficit commercial jugé « inacceptable ». En 2024, les importations américaines depuis la Chine s’élevaient à 440 milliards de dollars, contre 145 milliards d’exportations, creusant un déficit de 295 milliards. Cependant, ce déséquilibre masque une réalité complexe :
- 40 % de la valeur des exportations chinoises vers les États-Unis proviennent de composants produits ailleurs (Japon, Corée, Taïwan).
- Les entreprises américaines comme Apple dépendent toujours de la Chine pour 70 % de leurs assemblages, malgré des délocalisations partielles en Inde.
L’impact sur les consommateurs et les entreprises
- Inflation ciblée : Les tarifs de 125 % sur les smartphones (9 % des importations chinoises) pourraient multiplier par six leur coût aux États-Unis2. En Chine, le prix du soja américain a bondi, affectant l’élevage porcin.
- Stratégies d’évitement : Les fabricants chinois contournent les tarifs via des pays tiers (Malaisie, Vietnam), mais les nouvelles sanctions américaines menacent ces circuits.
Dépendances critiques
- Métaux stratégiques : La Chine contrôle 80 % du raffinage des terres rares, essentielles aux technologies vertes et militaires. Une restriction chinoise plongerait les États-Unis dans une crise d’approvisionnement.
- Semi-conducteurs : Les États-Unis bloquent l’accès de la Chine aux puces avancées, mais dépendent toujours de Taïwan pour leur production.
3. Répercussions mondiales : Dommages collatéraux et opportunités
Un risque de stagnation mondiale
Les États-Unis et la Chine représentent 43 % du PIB mondial en 2025. Un ralentissement de leur croissance entraînerait :
- Une baisse des investissements directs étrangers.
- Une contraction du commerce international, déjà fragilisé par la pandémie et les crises énergétiques.
Détournements de flux et concurrence déloyale
- Dumping chinois : Face à un excédent manufacturier de 1 000 milliards de dollars, la Chine pourrait inonder d’autres marchés (UE, Royaume-Uni) d’acier ou de panneaux solaires à bas coût, menaçant les industries locales.
- Bénéficiaires indirects : Le Vietnam et le Mexique attirent des investissements délocalisés, tandis que l’UE profite d’une hausse de 15 % de ses exportations vers les deux géants.
Crise des chaînes de valeur
La pandémie avait déjà révélé la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement. La guerre commerciale accélère le découplage, poussant les entreprises à régionaliser leur production (ex. : Tesla en Allemagne, Foxconn en Inde).
4. Dimensions stratégiques : Au-delà du commerce
La course technologique
- Blocus américain : Les restrictions sur les exportations de puces (Biden, 2024) visent à contenir la montée en gamme chinoise. Huawei et SMIC sont privés d’accès aux technologies de pointe.
- Réponse chinoise : Pékin investit 150 milliards de dollars dans la R&D de semi-conducteurs, avec des résultats mitigés10.
Sécurité nationale et alliances
- Les États-Unis instrumentalisent le commerce pour isoler la Chine, menaçant le Cambodge ou le Vietnam de sanctions s’ils coopèrent avec Pékin.
- L’OTAN élargit son mandat aux enjeux économiques, soutenant les industries critiques face aux « pratiques prédatrices » chinoises.
L’échec des institutions multilatérales
L’OMC, affaiblie par le blocage de son organe d’appel, ne parvient plus à arbitrer les litiges. Les deux puissances privilégient désormais des accords bilatéraux ou régionaux (RCEP pour la Chine, USMCA pour les États-Unis).
5. Perspectives et scénarios : Vers une nouvelle guerre froide ?
Scénario 1 : Escalade incontrôlée
Si les tarifs dépassent 150 %, les économistes prévoient :
- Une stagflation aux États-Unis, combinant inflation (dues aux pénuries) et chômage.
- Un effondrement des exportations chinoises, aggravant la crise immobilière et le chômage des jeunes (21 % en 2025).
Scénario 2 : Désescalade négociée
Un retour à la table des négociations supposerait :
- Un assouplissement chinois sur les subventions aux entreprises d’État.
- Une levée partielle des tarifs américains sur les biens de consommation.
Scénario 3 : Fragmentation économique
Le monde se diviserait en blocs :
- Une sphère occidentale centrée sur les États-Unis, prônant la « sécurisation » des chaînes d’approvisionnement.
- Une sphère eurasiatique dirigée par la Chine, axée sur les Nouvelles Routes de la Soie.
Conclusion : Un conflit sans vainqueur
La guerre commerciale sino-américaine illustre les limites du protectionnisme comme outil de rééquilibrage économique. Si les deux nations subissent des pertes immédiates (hausse des prix, contraction des échanges), leurs stratégies reflètent une rivalité systémique pour la domination technologique et géopolitique. À long terme, le véritable enjeu réside dans la capacité des institutions internationales à repenser les règles du commerce dans un monde fragmenté – un défi qui exigera plus de coopération que de confrontation.
Liens :
https://www.foreignaffairs.com/united-states/trade-wars-are-easy-lose